La voix singulière d’Olivia Elias n’est pas passée inaperçue dans le paysage poétique palestinien. Poète francophone et enfant de la Nakba, son œuvre, publiée seulement depuis 2015, a déjà été reprise par de nombreux magazines et traduite en plusieurs langues. Chaos, Traversée (World Poetry Books, 2022), l’édition bilingue augmentée de son dernier recueil traduit en anglais par Kareem James Abu-Zeid, offre un aperçu du mélange de colère et de tendresse qui constitue le fondement de son univers poétique : un exercice de poésie. un enracinement qui transcende sa situation d’exilée palestinienne pour inventer un langage succesful d’exprimer, à l’échelle universelle, le devoir d’indignation et de solidarité.
Née à Haïfa en 1944, Olivia Elias et sa famille fuient au Liban en 1948. Après des études d’économie et une carrière d’enseignante à Montréal, ville qu’elle découvre à l’âge de seize ans, elle s’installe en France dans les années 1980. Sa première assortment, L’espoir pour seule safety (L’espoir comme seule safety), a été publié par Alfabarre en 2015, suivi de Ton nom de Palestine (Al Manar, 2017), traduit par Sarah Riggs et Jérémy Victor Robert comme Ton nom, Palestine (Livres de poésie du monde, 2023), et Chaos, traversée (La Feuille de thé, 2019).
Dans son avant-propos de Chaos, Traversée, le poète palestinien Najwan Darwish décrit Elias comme « l’une des voix les plus inattendues émergeant de la poésie palestinienne au cours de la dernière décennie ». Pour Darwish, l’arrivée relativement récente d’Elias sur la scène poétique palestinienne est l’aboutissement d’un parcours personnel marqué par l’expérience d’un double exil, géographique et linguistique. La poésie d’Elias est « personnelle mais collective, easy mais complexe » et « toujours étonnante ».
Comme chez d’autres poètes palestiniens, le questionnement prédomine dans ce recueil. Mais ici plus qu’ailleurs, les questions parlent avec drive et douleur de la nécessité de partager l’angoisse qui est à la base de l’être palestinien : « Connaissez-vous le bruit d’un olivier qu’on déracine ? ou “Remark résoudre l’équation de la maturation au pays des absents et des présents-absents, un pays qui joue à cache-cache avec l’existence ?” Pour Elias, la query n’appelle pas nécessairement une réponse ; il est là pour marteler une réalité brûlante, pour forcer le lecteur à regarder le drame palestinien en face.
D’un poème à l’autre, Elias dessine les contours d’une Palestine précaire, prise dans « le cercle de l’enfer », en lutte constante contre l’instabilité et la fragilité de son existence : « Dans ce pays, les étoiles n’étaient pas fixes ». Certains poèmes condensent la spoliation de la terre palestinienne en pictures d’un réalisme saisissant, comme « l’étreinte mortelle des bulldozers jaunes » ou « le gonflement de la peau de la terre ». La réalité persistante de la colonisation dans les territoires palestiniens se traduit par une « extension du territoire de bannissement ». La Nakba, nous rappelle Elias, est toujours en cours.
La réalité persistante de la colonisation dans les territoires palestiniens se traduit par une « extension du territoire de bannissement ». La Nakba, nous rappelle Elias, est toujours en cours.
Dans un poème écrit en 2018 qui résonne fortement avec les douloureux événements actuels à Gaza, Elias rend hommage aux « centaines et centaines/milliers d’ombres emprisonnées » et pose des questions prémonitoires : « combien de temps les habitants de Gaza doivent-ils attendre que la dévastation se fasse sentir ? être nommé ? / combien de temps devons-nous tenir le journal du chagrin et de l’affliction ? C’est de ce sentiment d’impuissance que se tisse une temporalité palestinienne, dominée par l’attente et l’absence de perspective.
Dès lors, le poème devient le lieu d’évoquer la maison, l’olivier ou le champ spolié, avec le sentiment d’une profonde injustice qui remonte jusqu’à altérer le lieu sacré de l’enfance : « des contes de mon enfance seulement / les ogres renaissent / occupent ailleurs les fées / veillent sur d’autres berceaux. Face à la réalité de la « précarité accumulée », la poète exilée est obligée de la porter chez elle sur son dos comme une « coquille d’escargot ».
Dans ce paysage marqué par le déracinement et l’instabilité, quelques poches de résistance apparaissent dans le poème. Ici, « la conspiration des arbres/et des vieilles pierres », là « ceux qui endurent/les Refuseurs/armés de pierres et de cerfs-volants ». Ailleurs, un enfant croit à l’existence d’un caillou plus que le sien, et les grévistes de la faim font du « corps qui se dévore » leur « dernier sacrifice pour la liberté ». Loin des slogans et des platitudes, la résilience semble jaillir des entrailles du poème, la douceur distillée « goutte à goutte / goutte malgré les balles / suivant les lignes de fracture ». C’est le poème lui-même, « criblé de shrapnels », qui se cost d’extraire « les balles du sniper / de son cœur ».
Au-delà de la Palestine et de ses tourments, la poésie d’Elias, comme le be aware le traducteur dans sa postface, « voyage avec aisance, et parfois dans le même souffle, à travers le monde entier », nous donnant à lire « une chronique poétique du déracinement de notre temps, une époque marquée par les inégalités, l’injustice et la déconnexion. Qu’il s’agisse d’évoquer la douloureuse séparation entre un vieil homme et un enfant dans l’enfer de la guerre syrienne, ou de rendre hommage aux migrants, ces « explorateurs des temps modernes / survivants d’odyssées infernales », la voix d’Elias est toujours portée par le juste mélange de réalisme. et l’empathie.
Là encore, la poésie ne se limite pas à la description ; il interpelle, questionne, have interaction un dialogue avec les espaces et les expériences humaines. S’adressant à la mer Méditerranée, elle observe : « La promesse / de l’autre rive / contenue dans ton nom / s’éloigne / chaque jour », puis demande : « Remark pourrais-je oublier / tes tranchées océaniques transformées en cimetières ? Au sujet de George Floyd, mort « écrasé comme de la vermine », elle demande : « Votre mort serait-elle un sacrifice / les dieux ont exigé d’inviter / à la desk du banquet les exclus / de la bonne vie condamnés à / mourir une seconde fois. ?” En confrontant son écriture à la violence du monde, Elias souligne le lien inextricable entre espace poétique et vécu. Parfois, quelques mots suffisent pour dire l’essentiel, comme dans le cas de la pandémie de Covid : « C’était un second insensé / les morts étaient à desk. »
Pour exprimer les racines du poème dans l’histoire personnelle et collective, l’écriture d’Elias opte souvent pour l’économie et la variation rythmique. En s’affranchissant des articles et de la ponctuation, il inscrit un sentiment d’instabilité dans la chair du poème : « Marcher sur un sol craquelé / qui tangue comme le pont d’un navire ». Le resserrement des vers reflète souvent l’inquiétude de la poète, comme lorsqu’elle cherche une manière d’exprimer son hypothétique retour en Palestine : « le vocabulaire diminue / par quoi remplacer les mots / unimaginable à prononcer », ou lorsqu’elle tente de rendre compte du fracas de la guerre. : “raids pillages oliviers sciés / brûlés opérations Plomb Durci / Piliers de Défense/ ici là.” Laconique et dévastée, la poésie d’Elias incarne à la fois l’accumulation d’pictures et l’allègement des constructions, l’ouverture au sens et la résistance à toute forme d’enfermement.
Une lecture attentive de la poésie d’Elias révèle qu’elle s’inscrit dans un projet de réinvention du langage poétique, « une approche scientifique » (titre de l’un des poèmes), automotive elle implique « la circonspection », « le frottement caillou contre caillou/du langage, » inventant une autre « langue des signes » avec la matière de la douleur et de la colère juxtaposées. Le résultat est un vers dans lequel une easy picture, comme celle d’une béquille, devient synonyme de milliers de vies brisées, de corps et de territoires altérés par l’occupation. En quête poétique permanente, Elias cherche obstinément les moyens de renforcer sa résistance. Dans le poème « Mantra », par exemple, elle se demande si elle doit « construire une digue / avec tout / ce que je peux mettre la primary / mots objets sentiments / recycler ». Pour contrer le déracinement et la dispersion, Elias compte sur l’énergie poétique, affirmant la nécessité de « faire le travail d’un archéologue » et de « reconstruire une demeure ouverte/à la tendresse » avec « les débris du présent ».
Une easy picture, comme celle d’une béquille, devient synonyme de milliers de vies brisées, de corps et de territoires altérés par l’occupation.
Parfois, la poésie d’Elias échappe aux tumultes du monde et devient plus intime, presque confidentielle. Le poème devient alors un moyen de « flotter à la floor de soi », de méditer sur la mort et la rencontre avec les « créatures/du monde d’en bas », mais aussi de saluer la mémoire de sa grand-mère, de renouer avec les rêves d’enfant ou de rêver. d’une réincarnation salutaire. L’approche poétique d’Elias semble toujours motivée par « ce désir encombrant de bien faire », par le besoin important de rester « immunisé contre la défaite et la désolation » et de traverser les épreuves en recherchant, comme le be aware Abu-Zeid, « le level mort au milieu » du chaos.
Empruntant des citations ou des références à Rimbaud, Baudelaire, Baldwin, Beckett, Aragon mais aussi Lao Tseu, Hideo Furukawa et d’autres, Elias ouvre sa poésie au monde et étend ses racines poétiques loin de sa terre natale, elle qui signe un poème : « citoyen-scribe de la Palestine occupée et du monde. En anglais, la traduction limpide et smart de Kareem James Abu-Zeid prolonge l’ouverture géographique et poétique qui sous-tend l’écriture d’Elias et façonne son originalité. Une autre manière de remettre la Palestine et sa diaspora sur la carte du monde, s’il le fallait.
Université de Chicago