Quelle est la place et la puissance des rituels aujourd’hui ? A l’event de ses 30 ansème anniversaire, Tradition & Démocratie consacre un deuxième numéro aux rituels et à leurs bienfaits en tant que fictions qui « renforcent une tradition des biens communs ».
Ce numéro présente une étonnante série de rituels. Bien que ces derniers ne soient pas intrinsèquement positifs – ils peuvent aussi être utilisés pour susciter l’illibéralisme et la haine – les formes de cette magie laïque décrites sont bienveillantes. En tant que pratiques collectives, elles soulignent la nécessité d’une tradition des biens communs et d’un changement fondé sur « l’intelligence collective, l’ADN de la démocratie ».
Rituels et rationalisme
Autrefois, les rituels « mobilisaient le symbolisme pour représenter l’irreprésentable », écrit Pierre Hemptinne. Ils étaient un outil pour saisir ce qui nous échappait, pour affronter ce que nous ne pouvions pas maîtriser et contre lequel nous avions besoin de safety.
Mais aujourd’hui, l’humanité subit « les conséquences d’un rejet à grande échelle de l’irreprésentable », produit du « matérialisme rationnel du capitalisme ». Coupés de l’invisible et de l’immatériel, nous sommes plongés dans un état d’éco-anxiété, mal préparés à affronter un avenir menaçant.
Les situations sont réunies pour que naissent de nouvelles connaissances, de nouvelles croyances et de nouveaux récits qui nous guident vers des « options sans précédent ». Mais pour que ces connaissances prennent racine, il faut une sorte de cérémonie : « des rituels qui entremêlent les énergies, les convictions, les espoirs, les connaissances et le savoir-faire de tous les peuples ».
Activisme
Jay Jordan décrit la lutte menée pour défendre une commune rurale de l’ouest de la France, Notre-Dame-des-Landes, contre la transformation en aéroport. Dans les années 1970, les agriculteurs de la région avaient refusé de vendre leurs terres à l’État, mais les urbanistes ont fait pression. En 2008, certains terrains et bâtiments étaient restés vides. Une poignée d’activistes s’y sont installés et la zone à défendre (ZAD) est né.
A chaque fois que les habitants de la ZAD étaient menacés d’expulsion, des dizaines de milliers de sympathisants se déplaçaient pour bloquer le chantier. En février 2016, soixante mille personnes avaient fait la fête sur le tronçon d’autoroute où les bulldozers devaient commencer à creuser. « Ces actions fonctionnaient comme des rituels, des sortilèges pour construire l’énergie collective et la concentrer sur une intention claire : empêcher les expulsions. »
Le gouvernement a fini par céder mais, par dépit, a envoyé la police, des hélicoptères et des chars pour détruire la ZAD. L’abandon du website et l’acceptation des situations de l’État ont conduit à des divisions et des conflits parmi les militants.
Un an plus tard, en 2019, Jordan et trois autres personnes ont décidé d’utiliser « le pouvoir du rituel comme un outil de « soin » pour leur communauté ». À l’aide de marionnettes géantes, de chansons et de feu, le groupe a mis en scène la défaite de la police anti-émeute et la réparation du cœur de la communauté – des rituels qui « ont ancré la communauté en lui donnant de la power et des intentions communes, et en contribuant au développement d’une histoire et d’un imaginaire communs ».
Artivisme
Dans les années 1990, la communauté queer a exploité le pouvoir des rituels à travers l’« artivisme ». Cette nouvelle forme de protestation est née en réponse à l’épidémie de sida et à la obscure d’homophobie qui l’accompagnait, qui limitait l’motion politique traditionnelle. Antoine Pickels discover les tactiques de cet artwork de la efficiency activiste « souvent symbolique et ritualisé » et s’interroge sur les nouvelles stratégies qu’il peut inspirer.
En quête d’un influence maximal, l’artivisme combinait l’artwork de la efficiency, le langage publicitaire et les médias visuels, en s’inspirant du Pop Artwork et de l’esthétique camp. Certains de ses mouvements étaient perturbateurs, « jouant sur la provocation et le scandale ». Ils étaient aussi nécessairement théâtraux : au risque d’être stigmatisés socialement, les contributors préféraient souvent dissimuler leur identité ; et étant donné leur petit nombre, « ils devaient jouer sur le symbolique et utiliser des photos pour se rendre visibles ».
Les actions comprenaient des « die-ins » (des corps étendus sur le sol, faisant le mort) et des « kiss-ins » (des personnes s’embrassant sur la bouche en public pour rappeler aux spectateurs que le virus ne se transmet pas par la salive). Les performances « jouaient sans fin avec le thème de la mort » mais fonctionnaient davantage comme des incantations pour la conjurer que comme des actes de deuil. Pour certains, ces actions fonctionnaient comme « une libération », pour d’autres comme « un sentiment de être toujours en vie« lorsque la mort s’approchait. Certains survivants ont déclaré que cela les avait aidés « à mieux combattre la maladie, ou à vivre avec elle de manière moins défaitiste ».
Ces dernières années, « guidé par d’autres urgences », l’artivisme s’est répandu. Des armées de clowns défilant contre la mondialisation à l’« homme debout » protestant contre la violence de l’État et de la police à Istanbul, ses dimensions performatives ont donné de la power à leurs actions.
Rituels de reconnexion
Virginie Fizaine prône l’utilisation de rituels pour recréer des liens perdus avec la nature. Ancienne professeure et libraire, elle cultive aujourd’hui à Anderlecht, en Belgique, des plantes médicinales dont elle fait du thé, « renouant avec les pratiques ancestrales des femmes considérées comme sorcières ». Ses pratiques agricoles, mélange d’agriculture bio-intensive et de permaculture, respectent l’environnement, suivent le rythme des saisons et les cycles de la terre.
En travaillant en extérieur en harmonie avec le monde naturel, elle a découvert une meilleure santé physique et mentale. Depuis 2020, elle organise des célébrations rituelles, les « Cycles de la Sorcière », pour permettre à d’autres, prisonniers des « rythmes modernes » de la vie, de se reconnecter avec eux-mêmes et avec la nature.
« Notre société de plus en plus matérialiste est aujourd’hui dépourvue de rites et de rituels qui existent dans de nombreuses religions. » Pourtant, écrit-elle, ceux-ci ont « le pouvoir de créer en nous et envers les autres un sentiment de confiance et de stabilité » à une époque où le patriarcat et le capitalisme ont fragmenté la société et fait des ravages sur notre planète. Cette reconnexion est essentielle : « Notre santé et celle de la planète en dépendent. »
Publié en collaboration avec Édition internationale CAIRN. Avis de Cadenza Educational Translations