La honte a longtemps été utilisée pour punir, faire taire et maintenir le statu quo. Mais maintenant, depuis sept ans, #MeToo est aussi une pressure de changement. La Revue Nouvelle discover cette « émotion peu étudiée et mal-aimée », avec des textes retraçant une histoire de la honte, remettant en query sa place dans les écoles, la littérature et la sociolinguistique, et présentant des histoires et des poèmes.
Histoire de honte
Qui est qualifié ou autorisé à parler de la honte ? Alors que les victimes d’abus sexuels prennent de plus en plus la parole, les journalistes se tournent vers des specialists pour commenter leurs témoignages, « afin de les contextualiser, d’expliquer à la victime et au grand public de quoi exactement elle a été victime ». Cette « hiérarchisation de la parole finit par faire taire la victime », écrit l’historienne Valérie Piette.
Depuis le XIXe siècle, des disciplines allant de la littérature à la médecine considèrent les émotions comme un sujet légitime. Mais l’histoire a été une exception notable : consciente du « droit à l’oubli », du risque de rouvrir les blessures et de la nécessité de « produire de la distance », elle a marché avec légèreté.
Au XIXe siècle, le discours scientifique et moraliste liait la honte au corps et à la sexualité, forgeant ainsi un outil permettant de contrôler le corps des femmes et de maintenir l’ordre social. Les femmes célibataires étaient présentées « à la fois comme étant en hazard et comme un hazard pour la société ». En Belgique, des establishments ont vu le jour pour les futures mères célibataires, où le « fruit de leur honte » pouvait être caché et les femmes « déchues » rachetées.
Depuis l’époque médiévale jusqu’au XXe siècle, la honte fait « partie du tissu de la justice » en France, l’humiliation publique faisant également workplace de punition et de dissuasion. Après la libération en 1944, les femmes accusées de collaboration horizontale ont eu la tête rasée en public, « leur corps payant le prix de la collaboration de la France ».
Pour Piette, l’histoire de la honte se confond avec celle du viol. “Pendant longtemps, violeur et victime étaient condamnés conjointement”, ce qui entachait la réputation des deux. En France, il a fallu l’arrivée de la deuxième obscure féministe pour proclamer que « la honte est terminée ». Après une affaire de viol cruciale en 1978 – la première à aboutir à des condamnations pénales – et l’adoption d’une définition légale du viol deux ans plus tard, la honte a commencé à « changer de camp ».
Honte à l’école
Même si l’école est censée être un lieu d’émancipation, cela peut avoir un prix élevé. Pour certains jeunes, écrit Marie-Christine Pollet, l’école est « le lieu où surgit la honte sociale » et où se forme « une conscience de classe négative » face à de nouveaux milieux sociaux et à la place de sa famille dans la hiérarchie sociale. Cette conjoncture peut permettre aux jeunes de progresser socialement, sans souffrance, à trois situations : ils « s’autorisent » à devenir autre selected que leurs dad and mom ; leurs dad and mom acceptent cette trajectoire ; et ils « reconnaissent la légitimité de l’histoire et des pratiques de leurs dad and mom », même s’ils cherchent à s’émanciper d’eux.
Mais si ces situations ne sont pas remplies, le « clivage » et le « conflit interne » peuvent être dévastateurs. Certains tentent d’effacer toute hint de leur passé et de se réinventer. Certains se dupliquent pour s’insérer dans deux mondes, « en utilisant deux accents… et en obéissant à deux codes culturels alternatifs ». D’autres se sont divisés en deux.
Pollet met en avant des écrivains qui explorent ces ruptures. L’« autosociobiographie » d’Annie Ernaux, chroniqueuse sans faille de la honte, décrit son expérience de « traître de classe ». En entrant au lycée, ignorante de ses codes, elle découvre l’humiliation. Elle en déteste ses dad and mom et les rend responsables : « Ils ne m’ont rien appris, c’est de leur faute si on se moque de moi… c’est leur langage qui, malgré mes précautions, ma barrière entre l’école et la maison, finit par franchir, se glisser dans un morceau de devoirs, une réponse ». Dans ce creuset, de nouveaux rapports à l’école et à la langue émergent.
Langue et honte
La sociolinguistique discover les relations de domination à travers le langage. Les langues et les pratiques linguistiques majoritaires établissent des normes, et « transgresser ou ignorer une norme » nous fait « ressentir de la honte devant les autres ». Mais « en assimilant les normes, nous éprouvons de la honte devant nous-mêmes » : une « haine de soi » linguistique. Pour les minorités linguistiques, la honte est-elle donc inévitable ?
Développé dans les années 1960, écrit Claudine Moïse, le idea de haine de soi linguistique reflète les luttes de décolonisation, de libération des femmes et les mouvements pour les droits civiques aux États-Unis. Elle s’appuie sur « une unité radicale du groupe minoritaire » et la stigmatisation de ceux qui ne participent pas à son émancipation. Cela crée une « catégorisation binaire et unique » avec la résistance d’un côté et les « actes de trahison ou de déloyauté » de l’autre. Cette simplification a occulté les « attitudes individuelles », y compris les « formes d’indifférence ».
Pour « libérer le sujet de la culpabilité », soutient Moïse, la sociolinguistique doit s’adapter aux nouveaux paradigmes historiques et scientifiques. Les luttes sociales du XXe siècle ont été remplacées par « l’émergence d’un sujet autonome » dont « le pouvoir individuel d’agir est lié à ses situations sociales d’existence ». La notion de honte doit être repensée dans ce cadre et de nouvelles méthodes d’analyse développées.
Assistons-nous à la fin de la honte ? Peut être pas. Mais un demi-siècle après que la théoricienne féministe Kate Millett ait déclaré que « la honte est terminée », nous avons atteint un second décisif, une « affirmation publique et collective de la honte des individus ». Dans le mouvement #MeToo, la honte est exprimée et non sélectionnée, récupérée et réutilisée par des personnes de tous horizons.
Publié en coopération avec CAIRN Édition Internationaleécrit par Cadenza Educational Translations.