Il y a des années, un homme qui était alors mon fiancé m’a offert une bague de deuil, sur laquelle sont inscrits le nom et les dates de naissance et de décès d’une Française qui vivait au milieu du XVIIIe siècle. Des mèches de cheveux blond pâle sont enfermées dans sa monture centrale, entourée de minuscules améthystes. J’avais porté la bague avec plaisir, quoique peut-être un peu inconsidérément, jusqu’à ce qu’un jour d’automne, en mission à Paris pour couvrir la Biennale des Antiquaires, je fus présenté au marquis de Breteuil, un homme bien habillé, aux cheveux blancs et au perspective aimable, qui a regardé ma bague et a supposé à tort que la personne qu’elle commémorait était mon ancêtre. J’ai évoqué brièvement cette rencontre dans l’article que j’écrivais alors, mais cette rencontre m’a marqué, me faisant m’interroger sur le chemin détourné par lequel ce fragment de l’ancien régime était parvenu jusqu’à mon doigt. Qu’était-il arrivé aux héritiers légitimes de la femme ? Avaient-ils perdu la tête dans la Terreur ?
Nous vivons à une époque de sensibilité croissante à la provenance des artefacts et à leur restitution. Les grands musées occidentaux consacrés à la présentation et à la préservation d’objets d’artwork ont progressivement commencé à reconnaître leurs liens avec des histoires de violence et de pillage. Qui d’entre nous peut véritablement revendiquer l’immunité lorsque le passé nous appelle ?
« » de Cécile DesprairiesLe propagandiste», publié en France en août 2023 et sélectionné pour le Prix Goncourt de cette année-là, en est un bon exemple. Habilement traduit du français par Natasha Lehrer, ce premier roman suggest un inventaire approfondi de la complicité française avec les crimes des occupants nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Desprairies, historienne de la France de Vichy, se concentre sur un seul clan français, calqué sur sa propre famille : ses features mal engendrés et ses idéologies mal engendrées. Le résultat est à la fois une histoire de fantômes, une histoire de amour fouun règlement de comptes et, on le despatched, un acte d’expiation profondément personnel.
La narratrice est une historienne de la génération Desprairies qui évoque, avec amertume, humour noir et ardour de la justesse qui peut être sa propre forme d’amour, les personnages qui ont peuplé son enfance bourgeoise parisienne des années soixante. Certains n’étaient que de simples « collaborateurs du deuxième et du troisième degré » pendant la guerre, se contentant de détourner le regard et de poursuivre leur propre avantage alors que les Juifs étaient systématiquement « soulagés » de leurs biens et de leur place dans la société française. D’autres, comme la mère du narrateur, Lucie, personnage central du roman, étaient de véritables croyants en la trigger nazie. Pourtant, ils se souvenaient tous de l’Occupation comme d’un âge d’or d’opportunités et d’idéalisme de jeunesse.
« Le Propagandiste » est aussi l’histoire des efforts du narrateur pour comprendre et maîtriser cet héritage malin. Il s’avère que le fascisme a une longue demi-vie dans les familles. En tant que jeune enfant, le narrateur ne cesse de deviner. Qui étaient « nos martyrs », dont une pancarte au bois de Boulogne indique qu’ils furent exécutés là, sous les branches d’un grand chêne ? Qui étaient « les salauds » dont sa mère, lorsqu’on l’incitait, lui disait qu’ils avaient « condamné » les dirigeants de Vichy, le Maréchal Philippe Pétain et Pierre Laval ? Lucie invente des maladies pour retenir sa fille à la maison après l’école au revenue d’une éducation différente : pendant les après-midi vides, elle fait réciter à l’enfant les noms des villes et des rivières allemandes et conjuguer des verbes allemands irréguliers. Ces associations enchevêtrées mettent des décennies au narrateur à se démêler.
L’une des scènes les plus glaçantes du movie du cinéaste Jonathan Glazer « La zone d’intérêt» – une reconstitution fictive de la vie domestique du commandant d’Auschwitz Rudolph Höss – se produit lorsque la femme de Höss, Hedwige, interprétée par Sandra Hüller, s’enferme dans sa chambre pour essayer un manteau de fourrure. Nous voyons d’abord le manteau livré, avec d’autres vêtements, dans la confortable maison de la famille Höss, située juste au-delà du périmètre du camp d’extermination. Alors qu’Hedwige l’enfile et se tourne d’un côté à l’autre, regardant son propre reflet dans un miroir, nos pensées se tournent inévitablement vers l’ancienne propriétaire du manteau, une femme jamais mentionnée dans le movie, mais presque certainement juive et assassinée dans les chambres à gaz du camp. arrivée. La familiarité des gestes de vanité féminine d’Hedwige est choquante, contribuant à nous faire comprendre la réalité de cette horreur invisible.
Comme ce movie, « Le Propagandiste » aborde également les maux du nazisme indirectement, à travers le langage codé des proches parentes du narrateur, une coterie de femmes qui se réunissent la plupart du matin pour échanger des vêtements et des souvenirs dans l’appartement de sa famille, dans un quartier démodé mais solidement bourgeois. Dix-septième arrondissement. En rivalisant de mesquines surenchères, ils bavardent en termes voilés sur les infidélités conjugales et les « problèmes » qui pourraient être résolus en envoyant «la petite» – l’enfant narrateur se tenant à proximité et témoignant silencieusement – à « ce gentil pharmacien » pour récupérer un colis.
« Qu’y avait-il dans le colis ? » Désespoirs écrit. « Potions pour provoquer des avortements, savon noir, cordons en caoutchouc, substances addictives. » (Grand-mère, il faut le noter, avait une habitude de morphine.)
Il faudrait beaucoup de temps pour déballer autre selected qui lui avait été transmis lors de ces rituels matinaux, automotive la dialog des femmes tournait inévitablement vers « les bons moments » où elles « vivaient selon leur intelligence ». Leurs évasions en parlant de la guerre – astucieusement traduites par Lehrer – offrent un cours magistral d’euphémisme. Leurs mémoires sténographiques se concentrent souvent sur des choses. « ‘Vous souvenez-vous de cette jolie gown en organdi blanc que je portais à cette fête à l’ambassade ?’ (J’ai finalement compris qu’ils parlaient de l’ambassade d’Allemagne, mais ils sont restés discrets sur les détails.) » Ou « « Vous vous souvenez de cette jolie desk en demi-lune en cerisier sur laquelle je me suis servi ? » (Dit sur le ton faussement contrit d’une petite fille. J’ai jeté un regard discret sur les meubles muets de l’appartement.) »
Lucie, la maîtresse de ces réunions matinales, est moins encline à la frivolité. « Fascinating Fascism » est le titre de Susan Sontagdans son essai de 1974, qui s’opposait à la réhabilitation d’après-guerre – alors en plein essor – de Leni Riefenstahlle cinéaste préféré d’Hitler. Dans « Le Propagandiste », Lucie fascine aussi. On la rencontre pour la première fois au milieu de sa vie, une blonde péremptoire, avocate de formation et profondément ennuyée par son rôle de matrone haute-bourgeoise. Comme la femme au lobby blonde et glacée jouée par Catherine Deneuve dans le movie « Belle de Jour » de Luis Buñuel (1967), il y a quelque selected d’un peu weird chez elle.
Mais le secret de Lucie n’est pas qu’elle passe ses après-midi, comme le personnage de Deneuve, à servir les shoppers d’une maison shut. Au lieu de cela, on apprend que pendant la guerre, alors qu’elle travaillait pour le bureau de propagande de Vichy, elle tomba folle amoureuse de Friedrich, biologiste alsacien et fervent nazi. Ils se marièrent et se consacrèrent à la trigger nationale-socialiste. Après la mort de Friedrich, dans des circonstances troubles, vers la fin de la guerre, Lucie, propagandiste talentueuse, poursuivit sa propre réhabilitation d’après-guerre, ce qui comprenait des séjours transatlantiques travaillant pour Vie et Vogue (détails que Desprairies a confirmé lors d’entretiens concernant sa mère). Elle s’est finalement remariée ; son nouveau mari était un cadre dirigeant à succès qui entretenait un « antisémitisme très à la française ». Ils ont eu quatre enfants (dont le narrateur), mais Lucie a porté le flambeau de Friedrich et de leur imaginative and prescient commune d’un nouvel ordre mondial pendant six décennies, jusqu’au jour de sa mort.
Même si elle n’a jamais parlé de son premier mariage, après la naissance de ses enfants et « qu’elle en a assez de la vie de famille, Lucie a commencé à laisser échapper des indices sur son passé » en nommant son premier-né Frédéric et en l’habillant de culottes de cuir ; offrant à ses couvées, à l’heure du goûter, « un morceau de ache de seigle tranché au couteau en corne de cerf et tartiné de saindoux ». Pour elle, il y avait « des bottes hautes cirées en cuir fauve qu’elle aimait porter, un peu incongruement, en ville ». Vue à travers les yeux de sa jeune fille, la Lucie qui émerge de ces pages est à la fois plus grande que nature et vulnérable, mais dans tous les cas inconceivable à réduire à la bonne taille.
Desprairies, né à Paris en 1957, a étudié la philosophie et la littérature et a d’abord travaillé comme germaniste dans l’édition pédagogique, avant de devenir historien de Vichy. Depuis 2008, elle a publié une série d’ouvrages de non-fiction, approfondis et abondamment illustrés de photographies d’archives : sur les websites parisiens qui ont permis la collaboration (de grandes maisons d’édition qui se sont tournées vers l’impression de propagande, d’élégants immeubles où la Gestapo a torturé des membres de la Résistance) ; sur les lois et fêtes nationales datant de Vichy, comme la fête des mères, encore observées aujourd’hui en France ; et sur la propagande allemande qui, tel un village Potemkine fait d’affiches, couvrait les sinistres privations de l’occupation. Un quantity qu’elle a publié l’année dernière, retraçant la topographie de la collaboration dans toute la France, compte plus d’un millier de pages.
Se tournant pour la première fois vers la fiction avec « The Propagandist », elle a été confrontée à un défi très différent : permettre aux lecteurs de s’identifier aux faiblesses humaines des personnages du mauvais côté de l’histoire, sans jamais les excuser. Un portrait aussi intime n’a pu être rédigé qu’à l’intérieur de cette communauté secrète.
Pour décharger sans diluer son histoire familiale radioactive, Desprairies s’arme d’ironie. Lorsque Lucie rencontre Friedrich pour la première fois, par exemple, à l’hiver 1940, elle a déjà commencé à se teindre les cheveux en blond. Mais à la fin du printemps, ses cheveux « deviennent progressivement plus clairs avec l’avancée de l’armée allemande ». D’autres personnages condamnent Lucie, mais pour de mauvaises raisons. Le grand-oncle du narrateur Raphäel, opportuniste, esthète et imprésario de la musique qui profite énormément pendant l’Occupation mais parvient à échapper aux représailles de l’après-guerre, trouve sa nièce Lucie trop idéaliste : « Pour lui, elle était un peu idiote. oie, à la recherche de l’amour au lieu de la prospérité. Et d’un level de vue financier, son antisémitisme avait été un échec. Elle n’avait pas réussi à gagner un centime avec ça.
A qui appartient l’histoire ? Quelles histoires sont les plus urgentes à raconter, et quand ? Primo Levi a commencé à écrire son premier mémoire, « Survie à Auschwitz», alors qu’il était encore prisonnier, travaillant dans le laboratoire de chimie du camp d’extermination. Il savait qu’il était trop dangereux de conserver les pages qu’il avait griffonnées en secret, mais il acheva son manuscrit quelques mois après sa libération. La littérature de la Résistance en France débute également pendant la guerre et l’Occupation, avec la publication clandestine de la nouvelle «Le silence de la mer», du Vercors (pseudonyme de Jean Brullers, co-fondateur des Éditions de Minuit, alors clandestines).
Environ quatre-vingts ans après la fin de la guerre, des histoires commencent à émerger sur des collaborateurs « ordinaires » de la France occupée, des gens qui ont été complices, soit en n’émettant aucune objection, soit en faisant avancer activement la grande obscure de fascisme qui déferle sur l’Europe. Ils ont peut-être d’abord vu « le bien » dans le fascisme allemand, comme l’a écrit l’écrivain Burkhard BilgerLe grand-père de, professeur d’école dans l’Alsace occupée par les Allemands, l’a fait. (« C’était un nazi, mais raisonnable », se souvient un ancien étudiant, dans les récents mémoires de Bilger, «Patrie. ») Ou bien, au fur et à mesure que la guerre avançait, ils changeaient d’allégeance dans une folle course à la survie, comme le père de l’écrivain français Sorj Chalandon, dont l’autofiction de 2022, encore non traduite, «Enfant de Salaud« , raconte l’histoire d’un soldat français de dix-huit ans qui a porté cinq uniformes différents pendant les quatre années de guerre, désertant à plusieurs reprises les armées adverses.
Il aurait peut-être fallu attendre la mort d’une génération entière de membres de la famille avant de les capturer sur la web page. (Elle a admis avoir dû quitter le sol français pour le faire, écrivant le livre dans un appartement emprunté à Vienne.) Dans le roman, les objets que la narratrice a hérités de sa famille – « de belles choses, dont certaines semblent avoir viennent du pillage de toute l’Europe, pas seulement de la France de Vichy » – la hantent. « Il suffit de tomber sur une vieille clé au fond d’un tiroir pour m’interroger sur la personne qui l’a laissée là. » ♦